Philosophie

Degré Zéro

Est-ce le point de départ d’un projet à imaginer ensemble, ou peut-être une zone de sens, une origine, un recommencement ? Pour le sémiologue Roland Barthes, le degré zéro représente l’écriture épurée. Pour le chorégraphe Akram Khan, c’est la source, le noyau, une zone d’attraction où des polarités s’opposent. Pour le philosophe Alain Roger, le degré zéro est le pays, celui qui sous-tend le paysage, une sorte de déjà-là qui confère à un lieu son unicité. Pour l’agence, c’est un peu de tout cela. Mais c’est surtout ce point de tension émotive que l’on ressent face à la beauté du monde, à un tableau, au commencement d’une belle histoire, à une idée extraordinaire, et forcément… à un paysage.

Pas de copier-coller

N’avez-vous déjà pas expérimenté ce goût de déjà-vu dans des écoquartiers, des ZAC, des centres urbains ou des zones commerciales ? Il y règne une sorte de copié-collé qui fait perdre tout caractère au lieu. C’est précisément ce que nous refusons. Degré Zéro s’engage dans la transformation des espaces urbains en offrant une alternative forte face à la standardisation. Contre l’homogénéisation et le lissage. Pour nous, la métropolisation de nos villes prend son sens lorsqu’elle s’enrichit des particularités locales et des diversités. Au cœur de nos préoccupations, il y a la question de l’identité des lieux. Notre approche, contextuelle et inclusive, s’attache à comprendre les spécifications de chaque territoire et à travailler à partir du déjà-là.

Récits

Chaque lieu est traversé d’histoiresque nous accueillons comme autant de points de départ. Nous lisons les territoires comme des récits en mouvement, portés par des forces discrètes : pratiques, usages, attachements, mémoires en suspens. Degré Zéro cherche à révéler ce qui échappe aux logiques d’aménagement : seuils sensibles, silences, variations d’échelle ou de rythme. Tissant un imaginaire partagé, ces micro-événements rendent les lieux habitables, désirables, appropriables. Il est des lieux que l’on traverse sans les voir, et d’autres qui nous appellent, nous retiennent, nous engagent. Ce lien, à la fois intime et universel, naît souvent d’un détail, d’une ouverture, d’un ancrage. Le projet de paysage peut rendre cela possible, sans l’imposer. Il offre un récit à éprouver plutôt qu’à raconter. Le paysage devient un espace d’accueil des imaginaires où chacun·e projette ses souvenirs, ses fictions, ses émotions. C’est là que les récits deviennent communs.

Morphologies

Degré Zéro interroge les formes urbaines comme constructions culturelles, économiques et politiques, jamais neutres. Souvent reproduites sans remise en question, elles répondent à des logiques industrielles et économiques qui privilégient l’efficacité plutôt que la singularité. Notre démarche cherche à déjouer ces formats dominants. Le projet ne se contente pas d’adapter les formes au paysage : il part du paysage pour tracer autrement. Ses dynamiques, ses épaisseurs et ses usages deviennent le moteur du dessin, permettant d’inventer des morphologies situées, courbes ou composites, toujours contextuelles. C’est ce que nous appelons urbanisme courbe : non pas arrondir les angles, mais tordre les règles établies, introduire de l’écart, proposer des alternatives. L’objectif n’est pas de reproduire le déjà-là, mais d’inventer, de déplacer, de résister par la forme.

Vivants

Degré Zéro conçoit des projets qui ne se font pas seulement à partir du vivant, mais aussi pour le vivant. Trop souvent réduit à une matière docile - choisi, planté, dirigé, il a servi de levier pour structurer l’espace ou améliorer les usages. Notre démarche inverse cette logique : soutenir ce qui vit, pousse, circule et transforme les lieux, plutôt que chercher à le maîtriser. Cette posture implique une attention aux milieux, aux continuités écologiques, aux régimes d’entretien et aux formes de cohabitation. Le paysage devient un terrain de négociation entre espèces, usages et temps longs, où l’amélioration de nos conditions d’habiter va de pair avec celles du vivant. Il s’agit de déconstruire l’idée d’un vivant au service du projet, de développer une culture écologique exigeante et de concevoir des formes qui répondent à des dynamiques de vie, pas seulement à des intentions humaines.

Démocraties

Degré Zéro défend une approche collaborative du projet de paysage. Concevoir les espaces publics, c’est d’abord écouter : usages, attentes, attachements. Le paysage se construit dans la rencontre et la pluralité des points de vue. Cette démarche ne diminue pas l’exigence du projet, au contraire : en intégrant d’autres regards, il gagne en justesse et en portée. Dans les quartiers populaires ou les territoires oubliés, l’espace public devient refuge, repère et support de dignité. Il mérite une attention égale — voire supérieure — à celle des lieux dits d’exception. Le projet est alors pensé comme outil de réparation et d’émancipation. La co-conception n’est pas un supplément, mais une condition de justesse. Accueillir la complexité sociale, accepter que le projet se transforme au contact des personnes, c’est renouer avec une responsabilité essentielle : prendre soin des lieux communs, bien commun de celles et ceux qui n’en ont pas d’autre.